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"Turquie 100 ans, le bilan Ataturk" Amadou Bal BA


«Centenaire de la Turquie de Mustafa KEMAL Atatürk : quel bilan ?» par Amadou Bal BA -

 L’Etat turc célèbre le 29 octobre 2023, en grandes pompes le centenaire de sa République bâtie par Mustapha KEMAL, un régime issu des décombres de l’Empire ottoman, le plus vieil Etat au monde régnant sur quatre mers, avait été très mal avisé de choisir l'Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. Les Occidentaux en ont profité à travers le traité de Sèvres pour le dépecer et se repartir ses dépouilles. Des officiers turcs dont Mustafa KEMAL, révoltés contre cette grande humiliation, ont fondé la Turquie moderne. En effet, le 13 octobre 1923, Mustafa KEMAL, (1881-1938), surnommé Atatürk ou le père des Turcs, officier militaire né le 19 mai 1881, à Salonique, capitale de la Macédoine, encore sous juridiction de l’empire ottoman. A douze ans, le jeune Mustafa fréquente une école militaire à Thessalonique et devient d’abord capitaine, puis lieutenant. Fils d’Ali Riza Efendi (1839-1888) un petit fonctionnaire provincial et de Zubeya Hanim (1857-1923), une femme au foyer, la prise de Thessalonique, par les armées grecques, en 1912, contraint sa famille, ainsi que d’autres Turcs et musulmans, à déménager à Ankara. Promu général en 1917, il fait de l’Anatolie, la base du mouvement nationaliste qui s'incarne, en 1919, dans un gouvernement provisoire agissant indépendamment de celui d'Istanbul. En 1919, en réaction contre l’humiliation de son pays, Mustafa KEMAL déclenche une guerre d’indépendance l’opposant au sultan-calife Méhémet VI VAHDESTIN (1861-1926), installé à Istanbul. Le sultan sera contraint à l’exil. Il est élu, le 10 août 1920, à la présidence de la Grande Assemblée nationale réunie à Ankara. Au lendemain du traité de Sèvres en 1920, qui sacrifie l'indépendance de la Turquie, il rallie massivement à sa cause les partisans du Sultan. Travailleur acharné, charmeur, communicateur et bluffeur, après ses victoires sur les Arméniens, les Kurdes et les Grecs entre 1920 et 1922), Mustafa KEMAL, «le loup gris d'Angora», surnommé aussi le «Gazi» ou le victorieux dont le pays est cerné par les Anglais, les Français et les Russes, donne à la Turquie des frontières qui sont reconnues par les Alliés au traité de Lausanne en 1923. «Bien lointains sont les jours où «l’homme malade de l’Europe» était le jouet des chancelleries occidentales. Tout comme le phénix, selon la légende, sortait avec une âme nouvelle de ses propres cendres, une Turquie régénérée a jailli de ses ruines du vieil Empire ottoman. Elle doit sa création au réalisme actif, à la personnalité dynamique et à l’inspiration de Kemal Atatürk» écrit, en 1941, A. MERTON.

Disparu trop tôt, le 10 novembre 1938, à l’âge de 58 ans, Mustafa KEMAL est inhumé à Ankara, sans avoir pu mener à terme toutes les réformes projetées. Il a été marié d’abord, à une Bulgare, Dimitrina KOVACHEVA (1892-1966), une femme divorcée, puis à Zeynep Fikriye Hanim (1897-1924) une cousine et sa maîtresse, dont la mort, par balle, probablement un suicide, est restée mystérieuse. Sa troisième épouse est Fatima-Tüze Zehra Latife (1898-1975). Elle est inhumée à Istanbul. Fatima lui a donné cinq enfants : Ismail (1902-1973), Omer (1903-1938), Emine (1907-1992), Rukiye (1908-1970) et Munci (1910-1932).

Devenu de nos jours, une icône intouchable et source d’inspiration, Mustafa KEMAL a posé les bases d’une Turquie moderne et musulmane, dont les fondements sont restés en grande partie intacts. «Nous avons eu, en peu de temps, de grandes et fécondes œuvres. La plus grande de ces œuvres est la République turque qui repose sur l’héroïsme et la haute culture de la nation turque. Nous élèverons notre patrie au niveau d’un pays qui sera le plus prospère et le plus civilisé du monde» dit Mustafa KEMAL. L’héritage le plus réussi d’Atatürk, c’est d’avoir insufflé au peuple turc, et en particulier à sa jeunesse, un puissant sentiment d’attachement à la Nation et à la République «Nous, jeunesse turque, devant ce noble monument (Place Taxim, à Istanbul), sur l’honneur et notre jeunesse et de notre attachement au Turquisme, au patrimoine qui nous a été légué par Atatürk, à sa République, à ses œuvres, et à son puissant régime, de sacrifier notre vie pour la patrie et son indépendance» jurent le 14 novembre 1938, des jeunesses lors des funérailles de Mustafa KEMAL.

Homme des Lumières, dirigeant compétent, un politicien habile, un homme d'Etat au suprême réalisme, entre pédagogie et réalisme, Mustafa KEMAL pense que l'Est et l'Ouest peuvent se rencontrer sur le terrain des valeurs séculières universelles et du respect mutuel, que le nationalisme est compatible avec la paix, que la raison humaine est le seul guide de la vie humaine. Dans son bilan, Mustafa KEMAL a mis fin au califat, proclamé la République laïque. Il est le premier à avoir instauré dans les décombres d'un grand pays musulman la laïcité. «L'État turc est républicain, national, populiste, étatiste, laïc et réformiste» édicte l’article 2 de la Constitution du 20 avril 1924. Moustapha KEMAL, dans sa modernité, remplacement le calendrier islamique par le calendrier grégorien : le jour de repos hebdomadaire est déplacé du vendredi au dimanche. En effet, l'Empire ottoman est démantelé lors du traité de Sèvres de 1920. Après deux ans de guerre d'indépendance menée par Mustapha KEMAL contre les puissances étrangères qui occupent la Turquie (Grecs, Français), le sultanat ottoman s'effondre. Le califat est aboli le 3 mars 1924. Moustapha KEMAL supprime en 1924, les tribunaux religieux et écoles religieuses (1924), et interdit en 1925, le port du fez (août-novembre 1925, l’alphabet et la prière en arabe ; il adopte aussi le remplacement de la Charia ou loi islamique par un Code civil ; il instaure d’importants pour la femme, élément essentiel de la renaissance turque : fin de la polygamie, égalité hommes/femmes dans l'héritage, mariage civil, interdiction de la répudiation et autorisation du divorce. Fait majeur et souvent occulté dans l’Hexagone, c’est Moustapha KEMAL, bien avant la France, qui a octroyé le droit de vote aux femmes. En effet, le 5 décembre 1934, le droit de vote leur est octroyé pour les élections nationales ; les femmes turques votent pour la première fois aux élections législatives du 8 février 1935, à l'issue desquelles 18 députées sont élues. Dans le Code civil de Napoléon, de 1804, les femmes sont restées mineures, sous la tutelle de leur mari, jusqu’à la réforme de 1973. En France, il a fallu attendre le 21 avril 1944 pour que les femmes obtiennent le droit de voter et de se présenter à une élection, après plus de 150 ans de mobilisations des suffragettes. Les femmes en France ne voteront, pour la première fois qu’aux municipales des 29 avril et 1945. C’est Lionel JOSPIN qui va parfaire le système en instaurant la parité, par une loi du 6 juin 2000. La fille adoptive de Mustafa KEMAL, une première femme pilote de chasse au monde, Sabiha GOKCEN (1913-2001) est une héroïne en Turquie ; un aéroport d’Istanbul porte son nom, à Pendick, porte son nom. La Turquie a connu deux Miss univers, dont les passionnés déboulonnent tous les préjugés des Occidentaux à l’égard de la femme musulmane. C’est d’une part, en Belgique, le 31 juillet 1932, Keriman HANIM (1913-2012) née et morte à Istanbul, et passionnée de piano. C’est d’autre part, à Londres, le 8 décembre 2022, Azra AKIN, une jeune fille aimant nager, danser et jouer de la flûte, et elle appartient à une famille turque vivant aux Pays-Bas. Les musulmans ottomans et turcs ne possédaient pas de noms de famille jusqu’à la loi sur les patronymes du 21 juin 1934, qui en imposa l’usage à tous les citoyens de la République de Turquie. C’est ainsi que le fondateur de la Turquie moderne est appelé Mustafa KEMAL avant 1934, et Atatürk après cette date.

La Turquie de Mustafa KEMAL est un mélange savant d’intégrisme religieux, avec de nombreuses femmes voilées, mais aussi une grande liberté, avec des jeunes filles habillées à l’occidentale. Par conséquent, et en dépit de la grande hypocrisie des hommes et des religions, le sexe existe aussi dans la société musulmane. Aussi, l’écrivain turc, Nédim GURSEL, dans son roman, «Etreintes dangereuses», parle sans tabou des passions torrides et ses voluptés. Il n'hésite pas à défier les interdits moraux et religieux avec humour et esprit. «Les femmes qui sont entrées dans ma vie étaient dures au mal, mais impitoyables. À la fois victimes et bourreaux», écrit-il. Transgressif, Nédim GURSEL renverse l'un après l'autre, dans la société turque, les tabous sexuels. Dans ce roman, il  a relaté la passion, la douleur de la séparation et des amours impossibles cherchant à s'épanouir dans des pays lointains. Istanbul, hautement chargée d’histoire, entre l’héritage byzantin et ottoman, l’un des plus grands empires du monde de Vienne à la Mecque ayant duré 600 ans, est une ville cosmopolite, conservatrice et moderne, mais aussi grouillante de vie et de vitalité culturelle, «Dès que je me suis trouvé sur la place, j'ai été pris et assourdi par la stridence de la ville, par tout le bruit de ses taxis et des tramways rouges, jaunes, ou verts, faisant crisser leurs aiguillages, et les grandes affiches partout proclamant les mérites des banques sur les façades noires de ce Liverpool oriental» écrit Michel BUTOR, dans «le génie du lieu». Le grand bazar, les îles des Princes, le quartier Galata, les hammams, l’excellente gastronomie, les deux grandes mosquées Bleue et Sainte-Sophie pour glorifier la sagesse divine, le palais de Topkapi qu’occupait Méhémet II, les plus anciens cafés du monde, les tapis d’Orient, l’esprit de fêtes (boîtes de nuit, alcool), les derviches tourneurs et même curieusement, dans un pays musulman laïc autorisant la prostitution, les maisons closes. L

Dans le camp occidental et à grand renfort, le centenaire de la Turquie, a été une grande occasion de discréditer le régime de Recep Tayyip ERDOGAN, président de la République depuis le 28 août 2014. «L'islam politique, surtout dans les années 1980, retrouvera la confiance en soi qu'il avait perdue au cours des décennies précédentes. L'apparition de Tayyip Erdogan sur la scène politique sera l'aboutissement d'une longue marche où les masses conservatrices prendront leur revanche sur les Turcs blancs, élites kémalistes laïques des grands centres urbains» écrit Constantin PICRAMENOS. Aussi ces attaques de l’Occident concernent le côté sensible, c’est un pays musulman, non respectueux des droits de l’Homme, notamment de la situation au Kurdistan et du génocide arménien de 1915. L’Armée turque, à échéances régulières, reprend le pouvoir, et après un «nettoyage», le pouvoir est remis aux civils. La Turquie de nos jours est un mélange de conservatisme, de modernité et de dynamisme économique. Cependant, ERDOGAN, contrairement à certaines monarchiques pétrolières arabes, très peu démocratiques, a choisi de défier les Européens, et en se rangeant du côté des Américains. Or l’Oncle Sam voulant régner sans partage sur le monde, estime qu’une puissante Turquie adhérant à l’Union européenne serait une grave menace pour sa suprématie sur le monde. C'est curieux dans ce monde où l'on dispose de plus une masse d'informations accessibles à tous, cette grande faculté d'enfumage au nom d'une démocratie largement ethnique et à géométrie variable. Tout le monde a assisté et applaudi la coupe du monde tout récemment d'un pays à pétrodollars ayant racheté le club de football Paris Saint-Germain et d'autres enseignes de notre belle capitale. On se souvient de cette Arabie Saoudite wahabite qui a découpé un journaliste opposant, justement en Turquie. Pourtant, ces monarchies des pétrodollars loin des modèles de démocratie et alimentant le fondamentalisme, (l'essentiel du commando du 11 septembre est saoudien) on leur déroule le tapis rouge. Les Turcs, dans les guerres locales provoquées par les Occidentaux, en Irak et en Syrie, là où ils ont déployé FRONTEX, pour se barricader, et accueilli généreusement les Ukrainiens avec leurs chiens, c'est la Turquie qui a supporté, les dégâts collatéraux, la grande masse des exilés irakiens et syriens.

Avec sa deuxième armée la  plus puissante au monde, si un pays, proche de la Russie, est bien arrimé dans le camp occidental, de très longue date, et lui est resté loyal, sans failles, c'est bien la Turquie, membre de l'OTAN et du Conseil de l'Europe avec sa charte des droits de l’Homme, bien avant la France. En 1987, la Turquie a demandé à adhérer, à ce qui était à l'époque la Communauté économique européenne. Lors de sa réunion à Helsinki en décembre 1999, le Conseil européen a accordé à la Turquie le statut de «candidat» à l'adhésion à l'Union européenne, soit depuis 24 ans. Bien d'autres moins avancés économiquement, comme la Roumanie, la Grèce ou la Pologne ont bien été admises à l'Union européenne. On ne peut pas dire que le gouvernement hongrois est un modèle de démocratie. Peuple de grands travailleurs et discrets, la diaspora turque en Europe est dynamique notamment avec sa restauration rapide de Kebab. C'est quoi donc le problème avec les Turcs et la Turquie ? Valéry GISCARD D’ESTAING a eu le mérite, dans ce bal de faux-culs, d’avouer les mobiles bassement ethniques du rejet des Turcs hors de l’Union européenne «La Turquie est un pays proche de l'Europe, un pays important, qui a une véritable élite, mais ce n'est pas un pays européen. Sa capitale n'est pas en Europe, elle a 95 % de sa population hors d'Europe, ce n'est pas un pays européen» dit-il. Le Maroc frappe à la porte de l’Europe, «Ceux qui ont le plus poussé à l'élargissement en direction de la Turquie sont les adversaires de l'Union européenne» ajoute Valéry GISCARD D’ESTAING. Et pourtant, et bien modestement, je dirai qu’il s’agit d’une erreur d’appréciation grave aussi bien dans la guerre ukrainienne, que la poste, n’ayons pas peur des mots, carrément raciste, vis-à-vis des Turcs. La Russie du Tsar n’a pas la bonne couleur, mais commençait à s’intégrer à l’Union européenne, par un déplacement massif et des contacts prolongés de ses populations avec l’Occident. Souvenez-vous, les Occidentaux ont presque perdu toutes leurs guerres locales injustes, c’est par la paix, et par la propagande idéologique que les Occidentaux ont gagné la Guerre froide, et non par les chars. Une Russie et une Turquie arrimées à l’Union européenne, de «l’Atlantique à l’Oural» suivant une formule de Charles de GAULLE, renforcerait les capacités d’action de l’Union européenne.

 Indications bibliographiques

 Anonyme, «Les funérailles d’Atatürk», Bulletin périodique de la presse turque, 17 novembre 1938, page 18 (document BNF) ;

ARMSTRONG (Harold, Captain), Mustafa Kemal, traduit par Soulié et Vaney, Paris, Payot, 1933, 293 pages ;

BENOIST-MECHIN (Jacques), Moustapha Kémal ou la mort d’un empire : le loup et le léopard, Paris, Albin Michel, 1954, 460 pages ;

BUTOR (Michel), Le génie du lieu, Paris, Bernard Grasset, 1958, 144 pages ;

DUMONT (Paul), Mustafa Kemal invente la Turquie moderne : 1919-1924, Paris, éditions Complexe, mémoire du siècle, 1999, 221 pages ;

HANIOGLU (Sükrü), Atatürk, une biographie intellectuelle, traduit par Emmanuel Szurek, Paris, Fayard, 2016, 288 pages ;

JEVAKHOFF (Alexandre), Kemal Atatürk, père fondateur de la Turquie, Paris, Tallandier, 1989, 576 pages ;

MANGO (Andrew), Mustafa Kemal Atatürk, Paris, Coda, 2006,  525 pages ;

MERTON (A), «J’étais en Turquie», Images, 24 mars 1941, page 18 (document BNF) ;

MONNIER (Fabrice), Kemal Atatürk, naissance de la Turquie moderne, Paris, CNRS éditions, 2017, 528 pages ;

PAILLARES (Michel), Le Kémalisme devant les Alliés, Paris, Constantinople, éditions du Bosphore, 1922, 494 pages ;

PIKRAMENOS (Constantin), La Turquie (1923-2023) de Mustafa Kémal à Tayyeb Erdogan, Paris, VA, 2023, 400  pages ;

ULGER (S, Eris), Mustafa Kemal, Paris, éditions Complexes, 1999, 221 pages ;

Paris, le 29 octobre 2023, par Amadou Bal BA -

Sources


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Author: Joan Porter

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